La forcitude : le pingouin versus l’ours polaire

Début d’année, l’heure est aux grandes résolutions avec la ferme intention d’être forts, fermes et déterminés, le FFD qui envoie !
Et si nous nous interrogions sur ce que c’est que d’être fort, serait-ce la capacité intérieure à faire face aux difficultés extérieures ?
Pas que, mais entre autres.
Alors jetons un œil sur le milieu naturel lorsqu’il devient non seulement difficile mais hostile, au pôle nord où les températures peuvent atteindre moins 43° – par personne – qu’en est-il du vivant, de l’animal ?

Quel est celui qui est le plus fort pour faire face aux périls glaciaires ?

Notre attention est immédiatement retenue, admirative par l’ours blanc, son gabarit impressionnant, sa puissance musculaire, il est équipé de toutes les capacités terrestres, il sait courir, se battre, chasser, se prélasser, et s’octroie des aptitudes aquatiques hors pair, où la nage le voit se déployer elle aussi avec puissance.
Et en plus monsieur est beau ! C’est tout moi…
Son pelage le dissimule sur la banquise, et ses petits sont d’une bogossitude peu commune, craquante, qui a su faire frémir Brigitte.
Et bien lorsque les froids se font les plus rudes, que fait-il le plantigrade ?
Il fait moins le malin !
Il hiberne, il ne se contente pas d’hiverner, c’est à dire de se mettre au chaud – ce qui reste peu accessible sur la banquise – il hiberne, il plonge dans une léthargie profonde de plusieurs mois avec toutes ses fonctions vitales au ralenti.
Comme le lundi matin.

Et que dire du pingouin ?

L’œil lui aussi s’émeut de le découvrir… Quel est l’ingénieur en fin de carrière en pleine confusion des niveaux de fonctionnalité qui nous a conçu le bestiau ?
C’est un oiseau qui ne sait pas voler, oui mais il sait marcher…enfin se dandiner revêtu d’un smoking improbable, il semble toujours sortir d’une after, au petit matin, avec l’œil brumeux en quête d’un Uber.

Et que dire de son cri ? Si ce n’est que le mélange prolongé du whisky coca et des Philippe Moris à défaut de donner le talent de Tom Waits apparente les cordes vocales aux lointains australopithèques, et en plus il fait dans les aigus…
Aucune estime de soi et d’interface sociale un tant soit peu probante.

Mais me direz-vous il nage comme personne, tel une torpille il fend l’eau pour pêcher avec la vélocité précise d’une flèche qui quitte à regret son Robin, il est vrai, mais lorsqu’il s’agit de se reproduire comment s’y prend-il le bougre ?
Il perd son habilité subaquatique pour se retrouver ramené à sa condition de volatile, il pond.

Et le voilà trônant sur son œuf, souverain sans royaume, et si un prédateur s’approche pour menacer ce qu’il a de plus précieux, il accroît l’improbable tangage, en mode dandy de fin de soirée qui s’éprend du mambo, une main sur le bar le maintenant arbitrairement en position verticale, pendant que ses pieds –  quoiqu’encore maintenus reliés par un bassin résistant contre vent et marées aux assaut d’un taux d’alcoolémie mimétique des élans d’une inflation africaine –  s’essaient à marquer le tempo dans un vrac rythmique plus ginger que rogers.

Et si la menace s’approche un peu plus de l’œuf, il s’arme de son bec et piquette l’ennemi sans pitié ; l’acuponcture si elle peut prétendre à quelques vertus curatives n’a jamais bouté d’anglais hors de quoique ce soit.
Bref le père devenant l’implacable combattant est pathétique.
Mais, triomphe peut-être prophétique des temps à venir, lorsqu’il s’agit de couver, c’est le mâle qui s’y colle… Il nous aura tout fait le pingouineau.

Au banc d’essai de la puissance, il cumule les passifs, et j’entends déjà d’impérieux contempteurs le toiser de la sentence testostéronée : va donc eh tarlouze !
Et que fait-elle la tarlouze lorsque la bise – de moins 43° – fut venue ?
Elle résiste…
Curieux non ?

Et comment qu’il fait pour être fort le pingouin là où l’ours polaire a jeté l’éponge ? – métaphore qui n’est pas sans intérêt au plan visuel.
Il commence par nettement se distinguer par son maillage social, l’ours est un solitaire, prototype de la famille monoparentale, et faire face seul au pire, quoique suréquipé au plan personnel, reste un trip égotique faiblement réaliste.

Le maître mot du pingouin est groupir, mais pas le groupir grégaire, fusionnel, monobloc – je sais ça fait beaucoup d’adjectifs pour un seul pauvre substantif, par ailleurs néologisme issue d’une Compagnie qui s’annonçait la 7ème – mais le groupir network.

Qu’est-ce à dire ?

Ils se rassemblent en mode circulaire, et jouent une chorégraphie à faire pâlir Béjart, qui reconnaissons-le était d’origine un peu pâlichon, le pas de danse est double, l’ensemble de la troupe tourne dans le sens de aiguilles d’une montre, et un et deux et trois et quatre, ce qui permet à ceux qui sont exposés au vent mauvais de ne pas l’être trop longtemps, et avant que le volatile benne dans le Gromiko, il échappe à la morsure du féroce souffle catabatique[1].
Et deuxième pas de danse, il pénètre l’ensemble du collectif et se fait réchauffer par ses congénères, tout en se maintenant en mouvement pour bientôt être de nouveau exposé aux septentrionales froidures.

Et cette intelligence réseau lui permet d’être le plus fort, dans un maillage habile, singulier et collectif des forces et faiblesses de chacun. A se vouloir trop convexe et plein de soi, on finit racrapoté en hibernation, à s’accepter et à se choisir concave, on touche deux clés libératrices, là où nous sommes en creux il y a de la place pour l’autre, et la radicalité actuelle des enjeux auxquels nous sommes affrontés ne nous réclamerait-elle pas de savoir situer sa place et faire de la place ?

 N’est-elle pas douce cette idée que faire face au pire n’appelle plus la marche forcée du plantigrade, mais l’habileté bancale des pas de danse d’une chorégraphie réseau où tant reste à inventer ?

 

[1] Un vent catabatique, du grec katabatikos qui veut dire descendant la pente, est un vent gravitationnel produit par le poids d’une masse d’air froide dévalant un relief géographique.
Ça mérite d’être précisé non ?

 

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